Et le voilà enfin !
Un album sur les hyènes, et pour les petits, cela peut paraître étrange, voire provocateur. Les rares fois où il est question des hyènes en littérature jeunesse, elles ont systématiquement le mauvais rôle : lâches, cruelles et sottes, elles sont objet de dégoût ou bien de dérision. Même Wolf Erlbruch en fait l’un de ses Cinq affreux, certes sympathiques mais affreux tout de même.
Or, il est bien évident qu’il s’agit là d’une vue de l’esprit. Pour peu que l’on se donne la peine de se pencher un peu sur son cas, la hyène tachetée (Crocuta Crocuta) est un animal comme les autres, prédateur redoutable à l’organisation sociale complexe et originale, ni plus ni moins charognard que son principal concurrent, le lion, « roi des animaux » sur-représenté dans les livres pour enfants.
Rétablir la hyène dans sa vérité n’est pas seulement un acte de « justice », c’est également un acte politique, une façon d’aborder l’Autre en faisant fi des préjugés, pour le voir tel qu’il est. Si la chose peut paraître évidente au regard des communautés humaines, elle est encore loin de l’être vis-à-vis de la nature, dont notre vision véhicule bien souvent des préventions beaucoup moins innocentes qu’il y paraît (plantes et animaux « invasifs », anthropomorphisation des comportements, etc.) et qui ont pu conduire à des massacres, y compris sous nos latitudes (loups, renards, rapaces…)
S’agissant des hyènes, le principal préjugé à leur égard (et que l’on entend encore dans bien des documentaires) est qu’elles seraient charognardes et vivraient, en « éboueurs de la nature », des restes des autres animaux. Or les hyènes tachetées chassent plus de 90 % de ce qu’elles mangent, au contraire des lions qui, bien souvent, se contentent de leur voler leurs proies, selon un principe d’économie qu’il serait par ailleurs vain de juger d’après nos propres critères moraux.
Il s’agissait donc, à travers un épisode ordinaire de cette nature (un lion, venu marauder, est mis en fuite par un groupe de hyènes) de présenter aux plus jeunes la réalité telle qu’elle est, tout en abordant de façon succincte un certain nombre d’autres aspects (matriarcat héréditaire, habitat, etc.) L’idée n’est pas de produire un documentaire exhaustif, mais de mettre en scène les hyènes dans un rôle aussi valorisant que n’importe quel autre animal réputé plus « noble ».
Pour ce faire, le projet se double d’un hommage à Keizaburo Tejima, dont les albums sur la faune du Hokkaido1 sont restés des classiques du genre, à la fois pour leur beauté formelle (gravure sur bois polychrome) et pour leurs qualités narratives (séquençage très poussé adapté aux petits, vocabulaire simple, refus de tout anthropomorphisme). Comme Guingouin, un chef du Maquis et Zapata est vivant !, Les Reines a donc été réalisé en linogravure, au moyen de 18 doubles-pages en couleurs, suivies d’un court dossier documentaire (4 pages).
1L’automne de l’ours brun ; Le vol du cygne ; Le lac aux hiboux ; Le rêve du renard… (tous à L’école des loisirs).