dimanche 1 juillet 2012

Bibliothèque des Délaissés. 4

Georges Guingouin 4 ans de lutte sur le sol limousin. - L. Souny, 1991.

À première vue, il peut sembler un peu étrange d'ajouter à notre Bibliothèque un ouvrage aussi ancré dans l'Histoire. Pour le comprendre il faut revenir aux soubassements du projet et aux discussions qui ont préludé à sa mise en place. Les Délaissés est un projet collectif qui, en tant que tel, a donné lieu à des négociations parfois serrées. Certaines d'entre elles auront porté sur l'idée de résistance : le "noyau dur" devait-il s'être caché pour parvenir à rester sur le Plateau ? Celui-ci devait-il finalement être envahi et ses habitants prendre le maquis ? J'avoue que l'une ou l'autre de ces solutions me séduisait. Elles n'ont pas prévalu. Cela n'empêche pas le projet d'être à mon sens profondément imprégné de l'histoire de Georges Guingouin, cet instituteur communiste limousin qui fut sans doute l'un des premiers maquisards de France. Blessé pendant la guerre, il s'enfuit de l'hôpital avant d'être pris par les Allemands, regagne son village de St Gilles les Forêts (Haute-Vienne) et s'empresse de cacher une ronéo et tout le matériel qui servira, dans un premier temps, à diffuser tracts et journaux. Refusant cependant la ligne attentiste du Parti (le Pacte germano-soviétique n'est pas encore enterré), il refuse de diffuser ses appels à la "fraternisation" avec les Allemands et fait preuve d'une lucidité qui le mettront rapidement en délicatesse avec l'Appareil clandestin, pour lequel il devient vite "le fou qui vit dans les bois", un électron libre qu'il faut éliminer. Qu'à cela ne tienne : Georges Guingouin, seul ou presque, construira pied à pied l'un des plus grands et des plus actifs maquis de France. Chef exemplaire et adulé de ses partisans, il multiplie les actions de propagande et de sabotage, servi par une connaissance parfaite du terrain et, surtout, par un soutien sans faille de la population rurale, parmi laquelle le maquis se trouve très vite "comme un poisson dans l'eau". En faisant sauter botteleuses et batteuses, Guingouin contre efficacement les réquisitions de fourrage et de grain et s'assure une popularité durable chez les paysans qui apprécient à leur juste valeur les arrêtés du "Préfet du Maquis" fixant à un niveau équitable les prix d'achat des denrées aux producteurs. Suite à l'afflux de jeunes réfractaires au STO et à l'invasion de la "Zone Nono" en 1942, le maquis passe à la vitesse supérieure et cette région du Limousin devient vite pour l'occupant une "petite Russie" tant le harcèlement des partisans se fait incessant, jusqu'à la libération de fait de certains secteurs où ils ne craindront pas d'évoluer au grand jour.


Le Limousin devient un tel abcès de fixation qu'Hitler mobilise bientôt une division entière, la "Das Reich", spécialisée dans la lutte contre les "terroristes" et tristement célèbre pour ses massacres en Yougoslavie. Mais l'annonce du Débarquement en Normandie bouleverse la donne. La direction du Parti ordonne aux maquis de la région d'attaquer les principales villes. Pour Guingouin, c'est trop tôt, à nouveau il refuse et s'oppose aux décisions irréalistes de politiques trop éloignés du terrain. L'affaire de Tulle, reprise en quelques heures par les Nazis, lui donnera raison et, s'il ne peut empêcher le massacre d'Oradour sur Glane (10 juin 1944), un coup de chance extraordinaire lui permet cependant d'influer sur le cours de la guerre. Par le plus grand hasard, au retour d'une action de sabotage, l'une de ses équipes capture l'un des principaux officiers de la "Das Reich", Helmut Kämpfe, dont le général Lammerding, commandant la division, ne saurait apparemment se passer. Il perd deux jours à le chercher, retardant d'autant son arrivée sur le front normand, où les alliés auront mis à profit ce temps précieux pour assurer leur tête de pont.
À peine un mois plus tard, au Mont Gargan, les maquis de Guingouin vont se livrer à une nouvelle action d'éclat en tenant tête à la brigade Jesser au cours de l'une des rares batailles rangées opposant partisans et occupants. Le maquis attend un important parachutage d'armes, il s'agit de stopper l'ennemi dans sa progression vers le nord, le temps de les récupérer et d'en assurer la distribution. Il tiendra, infligeant aux Allemands des pertes sévères, environ dix fois supérieures aux siennes propres. Guingouin est alors au plus haut de sa popularité. Le commandement uni de la Résistance le met à la tête des FFI de toute la Haute-Vienne, soit environ 20000 hommes. Il est alors temps de libérer Limoges. Là encore, avant tout soucieux de préserver la population, Guingouin démontre un sens tactique hors-pair. Après avoir encerclé la ville, il négocie avec le général commandant la place, dont il finit par obtenir la reddition.
Sa conduite pendant la guerre ne devrait lui valoir que des éloges. Elle provoque la jalousie d'un certain nombre de planqués socialistes et résistants de la dernière heure qui, avec la complicité de la police et du PCF, mèneront plus tard à une tentative assassinat en bonne et due forme, véritable machination politico-policière dont les ressorts, toutes proportions gardées, ne sont pas  sans évoquer ceux de "l'affaire" de Tarnac. Premier maire de Limoges après la Libération, partisan de l'autogestion des usines épurées de leurs patrons collaborateurs, Guingouin gêne les visées politicardes des uns et des autres. Il n'auront de cesse de minimiser son action et même de le "liquider" physiquement, jusqu'à ce que, blanchi mais néanmoins dégoûté par ces manœuvres criminelles, il s'éloigne définitivement de la région et de la politique pour reprendre son ancien métier d'instituteur.

Certainement, ce livre n'est pas celui d'un grand styliste. Georges Guingouin était homme d'action avant tout, une action décidée et incessante dont son ouvrage rend compte avec beaucoup de précision et, surtout, une modestie qui fait toujours passer le collectif avant l'individuel et ne s'autorise aucun "culte de la personnalité", dont d'autres, moins intègres, ne se seraient pas privés. Intégrité, c'est bien le maître-mot dont on pourrait résumer le combat de Georges Guingouin, de la première planque en plein bois à la prise de Limoges. Limoges dont la reconnaissance, de façon significative, ne trouve à s'exprimer que dans le baptême tardif d'une vague avenue, le long de l'autoroute, tout au nord de la ville.

Lecture à compléter par :

RobertO. Paxton La France de Vichy : 1940-1944. - Seuil, 1997.

Un classique qui, s'il ne traite pas directement du maquis, n'en reste pas moins un ouvrage indispensable pour qui veut comprendre le contexte dans laquelle s'inscrit la démarche résistante d'un Georges Guingouin. Il fut en outre l'un des tout premiers à remettre en cause le mythe d'un régime qui aurait "évité le pire" au pays et du soi-disant "double-jeu" de Pétain.
Il fallait que cela vienne d'un Américain...
Olivier Wievorka Histoire de la Résistance. - Perrin, 2013.

Une excellente et très claire synthèse pour situer à sa juste place la démarche de G. Guingouin dans le contexte général de la guerre et des différents mouvements de résistance. Le caractère précurseur de son action y est confirmé. Même si la guérilla fut longtemps considérée avec méfiance par De Gaulle et les Alliés, les maquis n'en montrèrent pas moins leur efficacité et leur utilité au moment du Débarquement. Avec une bonne longueur d'avance pour celui de Châteauneuf.
Georges Guingouin et Gérard Monédiaire Georges Guingouin, premier maquisard de France. - Souny-Ponty, 1982.

Ouvrage en deux parties, la première signée par G. Guingouin, préfigurant le livre ci-dessus, complétée par une intéressante étude de G. Monédiaire qui met en parallèle la figure du chef maquisard avec celle qu'étudie l'historien Eric Hobsbawm dans son livre Les Bandits. Enracinée dans une culture très spécifique à la région, à la fois rurale et communiste, l'image de Guingouin y prend très vite une stature mythique qui l'apparente - et sans enlever quoi que ce soit à la réalité de son action - à celle de tous les Robin des bois, "bandits d'honneur" et autres haïdouks.

Michel Taubmann L'affaire Guingouin. - L. Souny, 1994.

Une enquête serrée démontant les rouages de la machination dont Georges Guingouin fut victime entre 1953 et 1959, suite à son éviction du PCF et aux menées d'un certain nombre de politiciens locaux dans le contexte plus que trouble de l'après-guerre.





Comité de soutien au lieutenant-colonel Georges Guingouin. - L. Souny, 1986.

Suite à un article du Crapouillot lui imputant la responsabilité d'une épuration "sauvage" en Limousin, G. Guingouin porta plainte contre le journal d'extrême-droite. Des comités de soutien se formèrent, dont on trouvera ici les bulletins de liaison ainsi que diverses allocutions du Grand qui, toutes, tendent à remettre les pendules de la mémoire à l'heure.
Marcel Parent Georges Guingouin : les écrits et les actes. - Éd. de la Veytisou : Le temps des cerises, 2006.

Un portrait de Georges Guingouin à travers ses écrits, montrant à l'envi toute "l'orthodoxie" communiste d'un militant sincère et finalement trahi par un appareil plus soucieux de l'esprit de Parti que de l'esprit de Liberté.





Marcel Parent, dir. Communisme et résistance de Georges Guingouin : actes du colloque organisé le 24 mars 2007 à Limoges. - Le temps des cerises, 2007.

Un colloque en tout point passionnant et érudit, avec les participations de Dominique Danthieux, Vincent Brousse, Francis Juchereau, Marcel Parent, Jacques Canaud, François Boulet et Gérard Monédiaire. Où l'on apprend entre autres choses que 12 des 21 régiments de FFI constitués à la Libération provenaient de la R5...


Armand Gatti Les cinq noms de résistance de Georges Guingouin. - Cercle Gramsci : Le bruit des autres, 2006.

Jeune maquisard de 18 ans, Armand Gatti a croisé la route de Georges Guingouin en 1942 sur le Plateau de Millevaches. L'année de sa mort, il lui dédie un long poème lyrique, parfois un peu obscur, mais dont les allusions sont heureusement éclairées par un important appareil de notes.




Jean-Jacques Fouché, Francis Juchereau, Gérard Monédiaire Georges Guingouin : chemin de résistance. - L. Souny : Cercle Gramsci, 2003.

Un petit livre bâti autour d'un entretien accordé par Georges Guingouin au Cercle Gramsci quelques années avant sa mort. Suivi d'un texte de Gérard Monédiaire et d'une évocation du Cyclope, tableau de Paul Rebeyrolle en hommage à G. Guingouin.



Henri Nanot Scènes de la vie du maquis. - L. Souny, 2010.

Henri Nanot fut l'un des compagnons de Georges Guingouin et connut, bizarrement, un destin assez similaire à celui de son chef. Fils de paysans limousins, doué pour les études, Henri Nanot rejoint le maquis comme en 1943, comme beaucoup. Après la libération, il se rapproche d'André Breton et des Surréalistes puis, au moment de la guerre d'Algérie, mis en cause dans une obscure affaire de plasticage, il est emprisonné et matraqué à mort par la police. Devenu fou, il meurt en 1962, à l'âge de 41 ans.
Son livre, publié dès 1945, fut l'un des premiers témoignages vécu sur l'expérience du maquis. Loin d'en célébrer les martyrs et les hauts-faits, il en relate le quotidien avec une gouaille constamment distanciée, dans un style parfois malhabile mais toujours vivant, propre à faire revivre au plus près de leur vérité ces "hommes des bois" aussi courageux qu'ils pouvaient être cabochards. Si la silhouette du "Grand" n'y apparaît souvent qu'en filigrane, c'est néanmoins avec un respect qui en dit très long sur la relation qu'entretenait Guingouin avec ses hommes. Mais, quand même, qu'est-ce qu'ils picolaient !

Pascal Plas et Michel C. Kiener Été 1944 : la bataille du Mont-Gargan : maquis au combat en Limousin. - L. Souny, 2008.

Premier ouvrage entièrement consacré à cet épisode-phare de la lutte des maquis limousins, ce livre signé par deux historiens situe tout d'abord la bataille dans son contexte local qui est celui d'un maquis FTP très fortement implanté dans une campagne encore bien vivante. Il en déroule ensuite les différentes phases, du 11 au 24 juillet, au plus près des différentes sources disponibles, dont les récits de différents témoins et acteurs de l'affrontement, donnés in extenso. La dernière partie fait l'état des lieux du souvenir de la bataille, commémoré par les nombreuses stèles qui parsèment aujourd'hui le site.

Pascal Plas [dir.] Visages de la Résistance, 1940-1944 : libération de Limoges. - L. Souny, 2005.

Catalogue officieux d'une exposition éponyme tenue en 2004 à la bibliothèque de Limoges, un ouvrage copieux qui fait la part belle à tous ceux, connus ou moins connus, qui ont œuvré dans l'ombre à la libération du Limousin. Nombre d'entre eux l'ont payé de leur vie, souvent très jeunes. Aussi est-il émouvant de voir ainsi défiler leurs visages, accompagnés de divers documents et témoignages parfois inédits. Georges Guingouin, s'il fut un précurseur, n'était pas seul.

Mémoires de Pierre Magadoux, commandant FTP, dans le maquis de Georges Guingouin. - ANACR, 2009.

Le témoignage de l'un des principaux adjoints militaires de G. Guingouin, l'un de ces humbles parmi les humbles, fils de bordier et communiste sincère qui prirent les armes auprès du "Grand", à l'égard duquel il se montre d'ailleurs parfois assez critique. Quoi qu'il en soit, une nouvelle occasion de remarquer l'absence totale de gloriole de ces soldats de l'ombre dont le récit fait toujours preuve de beaucoup de retenue et de pudeur.

Mémoires de Roger Magadoux et de Marcelle Legouteil-Magadoux. - ANACR, 2005.

Frère du précédent, Roger Magadoux fut quant à lui un "légal", l'un de ces indispensables relais entre le maquis et la société civile. Très proche de Guingouin, il assura pour lui plusieurs missions de confiance. De même, Marcelle Legouteil, communiste convaincue, fut quant à elle un agent de liaison d'une grande efficacité, à l'instar de ces nombreuses femmes auxquelles G. Guingouin a toujours tenu à rendre un hommage particulier.

Charles Gaumondie Les cahiers de la résistance limousine. [1]. - C. Gaumondie, 1970.

Poèmes et souvenirs de celui qui fut le "Colonel Charles", l'un des principaux adjoints de G. Guingouin et qui lui servit de couverture pour obtenir dès 1943 des parachutages du SOE.
À l'instar des précédents, une pure figure de la Résistance, modeste et courageuse, loin de certains prébendiers de l'après-guerre.
Dans le maquis de la forêt de Châteauneuf : d'après les mémoires d'André Deléger. - ANACR Haute-Vienne, 2010.

Témoignage modeste et sensible d'un simple soldat. A. Deléger fut l'un de ces très jeunes maquisards de juin 44 qui auront fourni le gros des troupes de la bataille du Mont Gargan et de la libération de Limoges. Courageux, toujours prêt à toutes les missions, il aura aussi été de ceux qui ont continué la guerre dans l'armée régulière jusqu'à la victoire totale du 8 mai 1945, combattant notamment dans les environs de St Nazaire.

Genèse et développement de la Résistance en R5 : 1940-1943. - Les Monédières, 2003.

S'il fut effectivement le premier maquisard de France, Georges Guingouin ne fut pas forcément le premier ni l'unique résistant de la région 5. C'est de la convergence d'engagements le plus souvent individuels qu'émergeront les réseaux et les maquis dont la montée en puissance, progressive jusqu'au 6 juin 1944, est ici mise en lumière au fil d'études précises, documentées et jamais réductrices.

Fabrice Grenard Une légende du maquis : Georges Guingouin, du mythe à la légende. - Vendémaire, 2014.

Véritable pavé dans la mare et passionnante de bout en bout, cette nouvelle biographie fait voler en éclat toute la légende - noire ou blanche - entourant le "Grand", et contredit en grande partie cet article lui-même. Elle fait donc l'objet d'un article à part (juillet 2014).




Pour finir, une inestimable curiosité : le court-métrage R5 : autour d'un maquis, de Paton. Tourné à chaud en 1945, une reconstitution fidèle des activités du maquis jouée par les maquisards eux-mêmes, au premier rang desquels Georges Guingouin qui joue son propre rôle dans le pillage de la poudrière de St Léonard ! Le film est visible en streaming ici.

3 commentaires:

  1. Je ne sais pas pour toi, mais le bouquin d'Hobsbawm dont tu parles m'avait un peu laissé sur ma faim (court et pas très palpitant, dommage pour un livre - même d'Histoire- sur les bandits)...

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  2. Je ne l'ai pas encore lu ! Je l'ai à la maison, je verrai ça bientôt... Apparemment, il est assez controversé.

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    1. En fait, comme c'est souvent le cas avec les "grands" historiens (comme Howard Zinn ou Domenico Losurdo que je viens de découvrir), on atteint un tel niveau de connaissances que l'on est bien en peine (quand je dis "on", je parle avant tout de moi)de savoir si oui ou non, ils nous racontent des salades. En même temps, leurs explications et présentations sont tellement structurées que l'on en redemande !

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