lundi 7 juillet 2014

Bibliothèque des Délaissés. 9

Fabrice Grenard Une légende du maquis : Georges Guingouin, du mythe à l'histoire. - Vendémiaire, 2014.

Je travaillais tranquillement à mon nouveau projet quand un pavé m'est tombé sur la tête : 603 pages, dont 94 de notes et de références, autant dire que cette nouvelle biographie fait le poids et remplace de façon définitive tous les ouvrages antérieurs y compris, d'ailleurs, celui de Georges Guingouin lui-même. Car, rebondissant sur ma tête, le pavé tombe aussi dans la mare et vient bousculer bien des idées reçues - de ces idées auxquelles on voulait bien croire, moi le premier. La légende en prend forcément un coup et, si l'on peut s'en attrister au premier abord, on s'en consolera en se disant que, quelles qu'elles soient, les légendes sont avant tout manipulables et donc manipulatrices, ce que l'Histoire ne devrait pas être.
Il ne s'agit pas, cependant de faire tomber le héros de son socle. À aucun moment, Fabrice Grenard n'entend contester l'engagement de Guingouin ou nier son action. Loin de tout révisionnisme, son projet vise au contraire à replacer cette action dans un contexte précis, quitte à nuancer certains points du récit canonique et à remplir les nombreux blancs qui y subsistent. Car s'il fut très tôt victime d'une "légende noire" forgée par ses ennemis politiques (au premier rang desquels le député socialiste Jean Le Bail, dont on ne dira jamais assez la bassesse - soulignée par l'auteur), Georges Guingouin le fut finalement tout autant de la "légende blanche" à laquelle il a lui-même contribué dans un réflexe compréhensible d'autodéfense : celle du "premier maquisard de France", Préfet du Maquis, du Tito du Limousin, chef tout-puissant des FFI de la Haute-Vienne et libérateur de Limoges.
Car Guingouin ne fut pas d'abord un rebelle : son histoire est avant tout celle d'un militant communiste orthodoxe, fidèle au Parti jusqu'au bout, quels que soient ses démêlés avec l'appareil. En ce sens, il n'était pas seul et ne le fut jamais vraiment : dès le départ, il est au cœur d'un réseau militant, aidé et soutenu par un groupe d'amis et de camarades que fédèrent son charisme et sa détermination. Son parcours a un sens, il est largement déterminé par l'extérieur. Ainsi n'a-t-il pas choisi la clandestinité : celle-ci lui fut imposée par l'imminence de son arrestation pour fabrication de faux-papiers. Ainsi n'a-t-il pas choisi de faire bande à part : ce n'est qu'après avoir été démis de ses fonctions en Haute-Corrèze qu'il crée de facto son propre maquis dans la forêt de Châteauneuf. De même n'est-il pas seul à libérer Limoges : en août 1944, nommé chef départemental des FFI, il perd son autonomie et réintègre un organigramme duquel il était jusqu'ici resté à l'écart. Il a désormais des supérieurs, aux décisions desquels il doit bien se plier. La libération de Limoges s'inscrit donc dans une stratégie d'ensemble et elle est largement emportée par le Major Staunton et le véritable bluff auquel il se livre auprès du général Gleininger lors des négociations du 21 août : les 20 000 hommes qui encerclent la ville sont en réalité beaucoup moins et leur puissance de feu certainement insuffisante face à celle des Allemands !
Ainsi le principal mérite de ce livre est-il de restituer Georges Guingouin à l'Histoire en redonnant à la sienne propre toute sa dimension collective.
Il en ressort un portrait certes plus nuancé mais aussi plus humain d'un chef de la Résistance qui, s'il fut sans conteste un grand tacticien et un organisateur hors-pair, se révélera tout aussi bien d'un grand idéalisme politique, d'une naïveté parfois presque touchante...
Des historiens de profession trouveront peut-être à y redire (l'auteur passe notamment un peu vite à mon goût sur le matraquage de Guingouin dans la prison de Brive, dont il fait une simple vengeance de matons humiliés) mais il est certain, quoi qu'il en soit, que nul ne pourra désormais parler de Guingouin sans ce référer à ce livre.
Agrégé et docteur en histoire, chargé de conférences à l'Institut d'Études Politiques de Paris, Fabrice Grenard est spécialiste des questions de ravitaillement durant l'Occupation ainsi que de l'histoire de la Résistance. Il a notamment publié La France du marché noir (2008) et Maquis noirs et faux maquis (2011)

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