samedi 20 septembre 2014

Bibliothèque des Délaissés. 10

Carmen Boullosa Duerme : l'eau des lacs du temps jadis. - L'Atalante, 1997.

Quel rapport, a priori, entre le Mexique de la conquête espagnole et notre bon vieux Plateau ? Aucun, sinon, le personnage principal de ce court roman de Carmen Boullosa. Entrevue déjà dans Eux les vaches, nous les porcs, Claire de Fleurcy est une autre Lu, enfant de putain et brièvement putain elle-même, s'habillant en homme et bien décidée à changer de vie en venant en Amérique en compagnie de pirates français. Enlevée alors qu'elle se trouve à Mexico, elle est destinée à être secrètement substituée sur la potence à un noble en disgrâce. Mais une servante indienne verse dans ses veines "l'eau des lacs du temps jadis", une eau miraculeuse qui la rend immortelle mais fait également d'elle une autre Belle au bois dormant pour peu qu'elle s'éloigne de la ville. Et c'est tout, ou presque, sinon qu'elle mettra à elle seule une armée indienne en déroute, aimera une belle actrice italienne et en sera aimée et s'endormira pour 25 ans sous la garde d'un poète amoureux, tandis que s'agite autour d'elle un Mexique en proie au chaos des commencements, entre la ruine d'une communauté indienne naguère florissante et toute pleine d'une magie inconnue des chrétiens et l'avidité fanatique et cruelle de ces derniers. Héroïne picaresque malgré elle, le plus souvent absente à elle-même et jouissant, au fond, de cette absence, Claire se retrouve ballottée entre ces deux mondes au fil fluctuant d'identités imposées selon les besoins de l'une ou l'autre des factions dont elle est le jouet. Ainsi, d'un personnage potentiellement pourvu de toutes les qualités qui font un bon roman d'aventures, Carmen Boullosa fait-elle une héroïne étonnamment involontaire, au prix d'un paradoxe qui ravirait notre Lulu et me fait regretter de ne pas l'avoir prénommée Claire.

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